Sanitation de Zénith : journal de terrain de Blandine (2)

Nous accueillons en stage pour trois semaines Blandine, en première année à l’IUT carrières sociales et option gestion urbaine. Elle a accepté de partager son journal de terrain et ses impressions.

Plus d’infos sur le projet de sanitation ici. Pour lire la première partie du journal de terrain de Blandine cliquez ici.

Jeudi 11 mars :

Nous sommes de nouveau allé·es à Zénith 2 mais cette fois dès le matin car une interprète devait venir afin de permettre aux personnes qui ne parlent pas français de pouvoir s’exprimer et de participer aux entretiens. Il y avait moins de travailleuses sociales qu’habituellement parce qu’il y avait une formation. À l’entrée du bidonville, nous avons croisé deux femmes.

L’interprète semblait les connaître parce qu’elle a parlé à leurs enfants. Les travailleuses sociales ont remarqué qu’une des deux femmes regardait bizarrement la traductrice. Personnellement, je n’avais pas fait attention. Nous sommes donc entrées dans le bidonville mais nous n’avons pas commencé immédiatement les entretiens. D’abord, nous avons fait un tour de terrain et salué les personnes présentes. Le site m’a paru plus vide et moins animé par rapport à l’après-midi, c’était très calme. Une travailleuse sociale m’a expliqué que c’était parce que le matin les habitant·es étaient moins présents puisqu’ils et elles travaillaient, étaient à l’école ou faisaient les courses.

 Nous avons ensuite fait un premier entretien avec la traductrice et une femme vivant sur le bidonville. Grâce à la traductrice, la femme a bien pu s’exprimer et développer ses réponses. Elle nous a montré ses toilettes et une partie de sa baraque. J’ai été choquée parce que quand nous sommes sortis derrière la baraque, un rat a traversé la petite cour et beaucoup d’autres l’ont ensuite suivi… Je n’en avais jamais vu autant en même temps et c’était assez impressionnant. Lors d’un autre entretien, une femme a expliqué qu’elle ne pouvait plus dormir dans sa caravane à cause des rats qui s’étaient installés. Je ne m’étais pas aperçue qu’il y en avait autant sur le site puisque la journée il y a beaucoup de passage, ce qui les maintien à l’écart. J’ai aussi vu l’intérieur d’autres habitations qui étaient vraiment différentes de celles que j’avais vues les jours précédents. Effectivement, le sol et le reste de la baraque étaient plus abîmés. C’était aussi plus petit et les meubles étaient plus serrés les uns contre les autres. Il y a donc beaucoup de disparités entre les logements ce qui complique la manière de décrire la situation globale sur le platz. La raison de cette différence n’est pas explicite. Est-ce dû aux compétences des habitant·es pour construire leur maison, à leurs revenus, leur réussite sociale, leur ancienneté sur le platz… ? L’état sanitaire m’a donc semblé pire que ce que j’avais remarqué les jours précédents.

Pendant les entretiens, il était aussi visible que la famille joue un rôle très important dans la vie des habitant·es. Déjà, d’un point de vue spatial, les personnes sont regroupées par famille, ce qui est assez logique. Dans les discours, les membres de la famille reviennent souvent comme les premières personnes à qui faire appel s’ils ou elles ont besoin d’aide ou d’un conseil. Lorsqu’on observe les personnes, il est visible qu’elles passent beaucoup de temps en famille, même les adolescent·es sont beaucoup chez eux.

Durant la journée, la présence de la traductrice a posé problème à certain·es habitant·es. En effet, elle avait auparavant travaillé avec la police en tant qu’interprète et elle était donc, aux yeux de certain·es, reliée à la police [Elle aurait notamment été présente lors des expulsions massives organisés par la Police de l’Air et des Frontières avant l’adhésion complète de la Roumanie à l’Union Européenne]. Certain·es la regardaient bizarrement et leur mécontentement était visible à travers leur attitude. Sa présence a aussi laissé penser que la police allait venir les expulser. Cela a donc renvoyé une moins bonne image au projet, ce qui peut être contraignant et induire de la confusion chez les habitant·es.

D’ailleurs, pendant des entretiens, il est ressorti que certain·es habitant·es pensaient que le platz allait être rasé à cause des travaux ou que les habitant·es allaient être expulsés du bidonville voire de la France. Ces retours montrent qu’il est difficile de faire passer les bonnes informations et d’informer toutes les personnes correctement, d’autant plus que le site du Zénith est grand et qu’il y a beaucoup de personnes qui y vivent. Néanmoins, c’est important de le faire afin que le projet soit mieux compris et accepté par les habitants. Les entretiens sont donc intéressants pour collecter des données mais aussi pour avoir une conversation privilégiée avec les personnes et instaurer un climat de confiance. D’ailleurs, même si c’est fatiguant car il faut rester concentrée pour comprendre, surtout quand les personnes parlent peu français, c’est très enrichissant de pouvoir entendre directement les personnes parler de leur situation puisqu’il n’y a pas d’autres biais. Cela permet d’avoir un regard différent et plus concret.

Lundi 15 mars :

Dans la journée, il y a eu beaucoup de vent ce qui faisait claquer les tôles des toits de certaines baraques. Il faisait moins beau que d’habitude donc il y avait moins de personnes dehors par rapport à la semaine précédente. Nous avons distribué des tubes de gel hydroalcoolique aux familles. Il fallait bien préciser que c’était du gel hydroalcoolique et pas de la crème pour le corps ou les mains car les tubes ressemblaient à des tubes de crème. Après ça, les travailleuses sociales ont parlé un moment avec certain·es habitant·es pour des demandes de domiciliations et autres papiers.

Ensuite, nous avons commencé les entretiens. Nous avons notamment fait un entretien avec une femme assez âgée qui fait partie des personnes les plus pauvres du platz. Elle ne parlait pas bien français mais sa fille l’a aidé pour traduire. A certains moments c’était compliqué parce que sa fille répondait directement aux questions sans lui demander ses réponses. Parfois, son petit-fils venait aussi aider à traduire, il corrigeait quelques mots ou reformulait quand sa grand-mère ne comprenait pas. Ses interventions étaient pertinentes et c’était intéressant de voir que même un enfant peut comprendre les enquêtes et  la subtilité de certaines questions.

Pendant l’entretien, la femme était enjouée. Il était visible qu’elle avait une forte personnalité, que ce soit au niveau de ses gestes ou même de ses réponses aux questions. C’était donc intéressant de voir que malgré ses conditions de vie difficiles, elle a toujours de la vie en elle et une forme d’espoir. Ce n’est pas le cas de toutes les personnes présentes sur le platz et c’est aussi pour cela que le projet de sanitation est important car en améliorant les conditions de vies de ces personnes cela pourrait permettre de les soulager de certains poids.

Mercredi 17 mars :

 L’après-midi, en même temps que nous disions bonjour aux habitant·es, nous leur avons distribué des boîtes de masques. Pascal, le coordinateur de l’association les Ziconofages est revenu afin de commencer l’atelier vidéo avec les adolescent·es. Lui et la médiatrice scolaire ont réfléchi à un endroit où installer l’atelier. Finalement, nous avons installé des tables et des chaises au centre du terrain, là où il y avait un espace assez grand. Il fallait un espace qui ne soit pas associé à une famille en particulier. En effet, cet atelier a pour objectif d’attirer le plus grand nombre d’adolescent·es possible et pour cela il faut éviter de s’installer dans un espace avec une certaine connotation. Sur le platz, peu d’espaces sont neutres parce que les cours sont partagées entre certaines personnes et familles, souvent les seuls espaces neutres sont ceux où les personnes circulent et ce n’est donc pas possible d’installer un atelier car il gênerait le passage. Il n’y a pas non plus d’espace qui soit visible de toute part, donc ça ne permet pas d’attirer d’autres personnes qui verraient l’atelier de loin et seraient intéressées.

Nous avons donc essayé de proposer aux jeunes que nous croisions de venir. Au début, il y avait surtout des enfants et leur maman qui s’étaient regroupés autour des tables pour faire des dessins. Ce n’était pas le public visé mais finalement les bénévoles qui interviennent pour faire du soutien scolaire sont venus chercher les enfants pour travailler avec elles. Cela a permis de libérer de la place pour l’atelier. Je ne suis pas restée très longtemps, juste au début mais cela m’a semblé compliqué de gérer les jeunes parce qu’ils n’étaient pas disciplinés. Il m’a aussi semblé que certain·es étaient plus motivé·es que d’autres pour faire cette activité. Le problème mis en avant était surtout que certains jeunes étaient très réticent·es à l’idée d’être filmé·es voire totalement opposé·es. Un jeune en particulier ne voulait pas du tout être filmé et il ne voulait pas non plus que sa famille le soit. Les adolescent·es qui ont participé à l’atelier faisaient aussi partis de peu de familles différentes, en tout il devait y avoir trois ou quatre familles représentées à travers eux. Je ne suis pas restée jusqu’à la fin car j’ai accompagné les architectes qui continuaient des dessiner le platz.

Un coup de main aux architectes

 Dans un premier temps, je suis allée dans une caravane avec Nancy, elle devait dessiner l’intérieur. Elle a d’abord fait le tour de la caravane en faisant des grands pas pour évaluer la taille de la caravane et corriger le plan qu’il et elle avaient déjà dessiné car elle était plus grande que ce qu’il et elle avaient dessiné. Ensuite, après avoir demandé l’autorisation des habitant·es, nous sommes entrées. En général, les habitant·es sont d’accord pour que les architectes dessinent leur caravane ou leur baraque, mais  il arrive quand même que certain·es refusent. Le projet n’est pas perçu de la même manière par tous et toutes.

Nancy m’a expliqué qu’à travers ces dessins, elle essayait de mieux comprendre quelles sont les ressources disponibles sur le platz et d’évaluer la viabilité des caravanes ou des baraques. Pour cela, elle s’appuie sur des critères précis, notamment s’il y a ou non des aérations, des trous, la qualité du sol et la solidité de l’installation. Elle notait ces informations sur ses dessins pour ensuite les retranscrire dans une grille. A la fin, elle les mettra en commun avec les autres architectes et ils et elles établiront ensemble un code couleur pour les mettre en avant. Connaître ces informations est utile pour voir quelles installations communes sont nécessaires. Elle m’a aussi montré les branchements électriques au sol, certains fils étaient réparés avec du scotch et recouverts avec des tapis à ces endroits, probablement pour que les enfants ne jouent pas avec et  ne se blessent pas.

Je suis ensuite allée derrière les baraques avec un autre architecte, Dani,  nous nous sommes promenées dans les déchets. Depuis l’intérieur du platz, ils ne sont pas autant visibles. En réalité, autour des habitations, il y a des minis collines de déchets, il y a un peu de tout, des bouteilles en plastiques, des caddies, des chaussures, etc. Il y a un endroit où il y a beaucoup de bouteilles en plastiques qui sont regroupées. Il y a aussi un caddie qui est rempli de canettes comme si quelqu’un·e les avait trié. Une dame nous a vu de ce côté et est venue nous voir. L’architecte l’a interrogée sur ce rassemblement de cannettes et elle a répondu que c’était les enfants qui les avait ramassées. C’est intéressant de voir cette partie du site parce qu’elle donne une vision plus globale et différente du reste du platz. Depuis cet endroit, il est possible de voir Zénith 3, le bidonville qui est à côté. Se promener dans les déchets donne l’impression d’être dans un lieu complètement différent. C’est assez étrange parce que tout ces déchets pourraient donner une impression de chaos et de désordre mais le fait qu’il y ai une sorte de tri casse ce sentiment et comme il n’y a personne aux alentours c’est un endroit assez calme.

Jeudi 18 mars :

Nous avons continué les entretiens le jeudi. Nous en avons notamment fait un avec un jeune et avons ensuite pu parler de l’atelier de la veille avec le jeune qui ne voulait pas que sa famille soit filmée. Il a expliqué qu’il ne voulait pas que sa famille soit présentée comme une famille pauvre.

Une travailleuse sociale lui a expliqué que son refus était légitime mais que sa manière de le formuler et son comportement ne permettaient pas d’être pris au sérieux. Il y a, en effet, un réel questionnement sur la manière de parler et de présenter les personnes qui vivent dans des bidonvilles. Beaucoup de journalistes et de reporters présentent leurs mauvaises conditions de vie, que ce soit en France ou à l’étranger, dans le but de sensibiliser sur cette thématique et peut-être de faire évoluer les mentalités. Cependant, le fait de présenter ces personnes dans un contexte aussi dégradé peut au contraire renforcer les préjugés qui existent déjà. De plus, les photographies et vidéos exposent directement l’image d’une personne, elle est ensuite susceptible d’être reconnue ou identifiée. Il est donc compréhensible que certaines personnes aient peur que leur image soit associée à un milieu à connotation négative qui pourrait ensuite les catégoriser. Leur méfiance est donc très légitime et c’est bien que ce jeune ait pu l’exprimer.

Dans ce contexte, il serait intéressant de travailler avec les jeunes pour trouver une manière de présenter leur point de vue grâce à la vidéo sans que leur image soit réduite à quelqu’un de pauvre mais en montrant que leur identité va au-delà et qu’ils et elles puissent aussi comprendre que la vidéo ne catégorise pas forcément les personnes mais peut aussi avoir un impact positif, notamment pour sensibiliser.

Vendredi 19 mars :

Réunion collective avec les habitant.es après le diagnostic socio-spacial.

Une traductrice est de nouveau venue aider à traduire puisque nous n’avions pu réaliser que deux entretiens avec la précédente traductrice, ce qui était peu représentatif. Cette traductrice a été mieux accueillie sur le terrain même si elle aussi était connue pour avoir travaillé avec la police. Toutefois, elle était aussi déjà intervenue pour aider bénévolement des habitant·es. Nous avons effectué avec elle un entretien particulièrement intéressant. La personne à qui nous avons posé les questions nous a raconté des anecdotes sur sa vie en Roumanie pendant le régime communiste. Pendant cette période, elle travaillait dans l’agriculture parce que l’État leur prêtait des terres. A la fin du régime, la famille a perdu ses terres et donc leur travail ce qui les a poussé à venir en France. La traductrice a aussi permis de parler des problèmes de la famille en dehors de l’enquête et donc de discuter plus facilement des solutions envisageables.

Nous avons aussi fait un entretien avec une personne qui parlait très bien français et avait une forte volonté de quitter le platz. Il nous a expliqué qu’il appelle tous les jours le 115 pour trouver un appartement et partir. Comme il veut vraiment quitter le platz, il fait beaucoup de démarches pour s’en sortir. Il essaye notamment de passer son permis de conduire et emmène les enfants à l’école tous les jours. La personne interrogée nous a aussi expliqué qu’il s’est construit un réseau de contact grâce à la manche. J’ai été surprise parce que je ne pensais pas que c’était possible de se créer un réseau de cette manière. En effet, quand je passais devant des personnes qui mendiaient je n’avais pas l’impression qu’elles avaient des liens quotidiens avec des personnes. Je pensais que c’était aléatoire et que ce n’étaient jamais les mêmes personnes qui les aidaient.

C’était mon dernier jour sur le terrain de Zénith 2, nous avons terminé de faire les entretiens qui représentaient la partie de diagnostic du projet. C’était une bonne expérience puisque cela m’a permis de mieux voir les conditions de vie des personnes vivant dans les bidonvilles et de mieux comprendre les enjeux sociaux et sanitaires de ce type de terrain, notamment la présence des conflits et la complexité des liens qui existent entre les habitants. J’ai aussi compris la nécessité d’adapter le suivi social en fonction de chacun puisque les situations et ressources sont différentes en fonction des personnes.

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