1. CONSTATS PARTAGES ET HYPOTHESES
1. Le constat partagé par les associations de terrain et les institutions
La mission du médiateur scolaire sur le territoire montpelliérain porte ses fruits : le nombre d’enfants inscrits à l’école n’a cessé de croître, tout en permettant à l’institution scolaire de réfléchir sur ses pratiques afin d’accueillir au mieux les enfants des bidonvilles. Néanmoins cette dynamique doit être aujourd’hui soutenue : accroître l’assiduité, maintenir la scolarisation dans le secondaire mais aussi favoriser l’apprentissage dans un cadre sécurisant.
- Les enfants habitant en bidonvilles sont peu assidus à l’école, et de nombreux enfants sont décrocheurs ou non scolarisés.
- Les parents des enfants habitant en bidonville sont peu impliqués dans la scolarisation de leurs enfants.
- Si le travail du médiateur scolaire et des associations auprès des familles a eu un impact sur le nombre d’enfants scolarisés, l’impact sur l’assiduité doit être soutenu.
- Les orientations post-primaires ainsi que les détections de troubles de l’apprentissage éventuels doivent mieux impliquer les parents
1.2. Hypothèses de réponse à ce constat
A partir des réflexions que partagent avec l’équipe d’ AREA les habitant·es des bidonvilles, et de ce que nous avons pu constater, nous avons cherché à analyser les raisons de ces difficultés vis-à-vis de l’école. Matérielles, psycho-sociales, sociologiques ou encore économiques, elles cristallisent l’ensemble des problématiques rencontrées par les familles vivant sur les bidonvilles et s’avèrent donc complexes à appréhender tant le champ des interactions est large.
1.2.1. Les freins matériels à la scolarisation
- A Zénith, éloignement des établissements (maternelle, primaire et secondaire) du domicile (exemple : plus d’une heure de transport entre Zénith et le collège du Jeu de Mail)
- Prise en charge du transport : gestion complexe par les enseignant·es
- L’accompagnement des enfants en primaire n’est pas pris en charge financièrement pour les parents (concerne uniquement Zénith)
1.2.2. La scolarisation peut renforcer le sentiment d’insécurité des familles
Alors que les parents dans d’autres domaines sont tout à fait en mesure de poser des règles à leurs enfants, il semble que pour la scolarisation la décision appartienne aux enfants. Pourquoi ?
- Pour de nombreux parents qui n’ont eux-mêmes pas été scolarisés, nous constatons une méconnaissance de l’école et de son fonctionnement : comment s’organise une journée ? Qu’y font les enfants ?
- Culpabilité des parents qui font vivre leur enfant dans des conditions difficiles et ne veulent pas en plus imposer la scolarisation
- Des parents verbalisent la peur que leur enfant subisse des brimades. De fait, si ces situations existent être prises en compte, elles sont peu courantes. Nous pouvons analyser cette peur comme le sentiment de ne pas avoir le contrôle de ce que vit l’enfant pendant la journée de classe. Un parallèle peut être fait avec la crainte qui anime des parents d’adolescentes qui ont peur des enlèvements.
- Des parents font part de leur désarroi parce qu’ils ne connaissent pas le niveau de leur enfant et ne peuvent pas l’accompagner
- Discours sur les besoins matériels (chaussures, cartables …) : peur du jugement de l’institution sur la précarité familiale.
Nous constatons que lorsque l’insécurité des conditions de vie est résolue par l’accès au logement dans le cadre d’un projet d’insertion, l’assiduité des enfants est sans commune mesure.
1.2.3. Pour de nombreuses familles, il n’y a pas de sens à la scolarisation
Pour les familles vivant en bidonvilles, le projet migratoire est en construction. Pour beaucoup, le fait de se sentir à Montpellier « en transit », même si cette situation peut durer depuis des années, ne permet pas de se projeter dans la société d’accueil. Depuis de nombreuses années ces personnes peuvent être à Montpellier pour « 3 mois ».
Pour certains parents qui n’ont pas eu accès à l’instruction, le futur des enfants sera assuré par la construction d’une maison en Roumanie (rendue possible par le projet migratoire).
2. PROJET : POUR GARANTIR UNE RÉELLE ASSIDUITÉ, IL FAUT RASSURER ET DONNER DU SENS
L’école est un espace où se jouent et se cristallisent de nombreuses problématiques liées au rapport qu’entretiennent les familles en situation de précarité et l’institution scolaire : perte de regard sur l’éducation de l’enfant, crainte de l’entrée de l’Ecole-Institution dans la sphère privée, non maîtrise des codes et normes, crainte du rejet ou du jugement. Mais il s’agit également d’un espace construit autour des perceptions réciproques : méconnaissance du public accueilli, stigmatisation positive ou négative, parcours migratoire devant être pris en compte.
Le projet est structuré en 4 axes :
1° Lever les freins matériels
2° Permettre une meilleure connaissance de l’institution par les parents dont les enfants sont scolarisés
3° Renforcer le sens donnés à la scolarité au collège, pour les enfants et leurs parents
4° Le suivi individualisé de 40 à 50 enfants en grande difficulté scolaire
2.1. Cadre partenarial
Le projet « scolarisation » d’AREA vient en renfort de la médiation scolaire portée par l’Éducation nationale. Il convient donc de réfléchir à une répartition pertinente des missions pour que le médiateur et AREA travaillent, dans un esprit de complémentarité, en faveur de la scolarisation des enfants vivant en bidonvilles. les travailleurs et travailleuses sociales associatifs agissent en coordination et en soutien des actions du médiateur scolaire
Des conventions partenariales pourront fixer les modalités de collaboration entre AREA et les différents établissements concernés.
2.2. Axe 1 : Lever les freins matériels
Les problèmes matériels doivent être levés pour se concentrer sur les enjeux réels de l’assiduité. Par exemple, Le risque que des enfants absentéistes bénéficient d’une carte de transport trimestrielle ne doit pas empêcher de perdre de vue l’avantage certain qu’elle représente pour les familles.
Actions :
- Simplifier l’accès au transport : en partenariat, mettre en place une solution matérielle à minima trimestrielle de prise en charge du transport
Exemple : Partenariat Education Nationale – Conseil Départemental – TAM (+ éventuellement AREA)
- Accompagner les familles d’enfants en primaire éloignées du lieu de scolarisation vers le Conseil Départemental pour la prise en charge du transport des parents
- Faciliter l’inscription dans un établissement du secondaire plus proche du lieu de vie.
- Permettre une meilleure connaissance de l’institution par les parents dont les enfants sont scolarisés
2.3. Axe 2 : Permettre une meilleure connaissance de l’institution par les parents dont les enfants sont scolarisés
Objectifs : Tisser du lien avec les parents pour permettre une meilleure connaissance de l’école, en s’inspirant des dispositifs qui existent.
Actions :
- En amont de l’inscription, prévoir une visite de l’école avec les parents, le médiateur, l’enseignant·e (en individuel ou petit groupes, avec le soutien d’AREA), comme c’est par exemple le cas en crèche.
- Sur le modèle des « cafés des parents » à La Paillade, prévoir un temps de rencontre trimestriel des parents
- Sur des projet spécifiques, permettre l’intervention des parents d’élèves en classe. Il s’agit de valoriser leurs savoirs pour notamment éviter un conflit loyauté entre savoirs scolaires et parentaux
2.4. Axe 3 : Renforcer le sens donné à la scolarité au collège, pour les enfants et leurs parents
Objectif : Faciliter une projection dans le parcours scolaire, même quand les familles ne se projettent que pour 3 mois à Montpellier.
Actions :
- Travailler sur des projets pédagogiques co-construits (association –enseignant·e) dans le cadre de l’école.
Il s’agit de s’inscrire dans une temporalité courte (trimestrielle) sur des projets réfléchis par les travailleurses et travailleurs sociaux d’AREA et les enseignant·es. L’équipe associative intervient en classe.
Le lien entre les enfants et leuurs référent·es sociaux est renforcé par l’expérience commune, facilite l’explication du projet de l’école aux parents. Les enfants et leurs parents peuvent être encouragés par l’équipe d’AREA à l’assiduité grâce à un projet auquel l’association participe.
2.5. Axe 4 : Le suivi individualisé de 40 à 50 enfants en grande difficulté scolaire
Objectifs : éviter le décrochage scolaire d’enfants peu assidus ou non encore inscrits ; améliorer les parcours scolaires et l’insertion professionnelle des enfants vivant en bidonvilles.
Il s’agit d’accompagner individuellement chaque famille dans le projet de scolarisation de son ou ses enfants.
De 40 à 50 enfants sont identifiés par l’Éducation nationale et AREA.
Actions :
- Recenser les enfants en obligation scolaire
- Encourager la scolarisation obligatoire dès 3 ans, et sensibiliser les familles à l’enjeu scolaire, dès le plus jeune âge
- Accompagner les familles dans les démarches administratives liées à la scolarité (inscriptions, constitution des dossiers de transport, de restauration scolaire, de bourses… )
- Soutenir les parents dans la rencontre régulière avec l’enseignant·e
- Faciliter le lien des parents avec les assistantes sociales scolaires et les assistantes sociales de secteur
- Aider les parents, si besoin, dans la constitution des dossiers d’orientation vers l’enseignement adapté ou spécialisé (SEGPA, ULIS, IME…)
- Pour les plus agé·es, accompagner dans l’élaboration du projet professionnel : procédures d’orientation, recherche de stages…
- Faciliter la participation aux activités scolaires et péri-scolaires proposées au sein de l’établissement : études, dispositif « devoirs faits », association sportive…
- En lien avec l’I-PEICC, faciliter l’accès aux loisirs hors établissements
3. MOYENS AFFECTES
- Embauche d’1 ETP Educateur·trice spécialisé·e ou équivalent, référent·e du projet « scolarisation ». Il ou elle aura notamment pour mission le travail sur des projets pédagogiques partenariaux association-enseignant·es dans les classes et la coordination des interventions du reste de l’équipe, ainsi que le reporting (suivi de l’assiduité)
- L’équipe d’AREA est actuellement composée de 3.8 ETP de travailleuses et travailleurs sociaux (majoritairement éducateurs spécialisés). L’ensemble de l’équipe sera mis à contribution dans le cadre du travail partenarial avec l’éducation nationale (interventions en classe, accompagnement des parents…)
- Les parents des enfants suivis individuellement sur le projet scolarisation auront chacun·e un travailleur·euse sociale référent·e
4. POINTS DE VIGILANCE ET PESPECTIVES
- La fonction de médiation exercée par l’association ne doit pas amener à occulter la place de chacun·e, notamment des parents. Les travailleuses et travailleurs sociaux peuvent accompagner des parents à rencontrer un·e enseignante, les interroger sur les absences de leur enfant, mais ils doivent être les premiers à être sollicités par l’institution sur les questions relatives à leur enfant.
- AREA ne couvre pas par son action l’ensemble des familles et enfants de la Métropole de Montpellier. Il s’agit par cette première réponse d’engager un maillage et un accompagnement plus fins et plus solides du soutien social et de l’accompagnement à la parentalité en lien avec les actions portées par la DSDEN 34. Les autres territoires concernés seront par la suite associés à ce travail en sollicitant d’autres acteurs associatifs dans une démarche partenariale globale .