AREA, La Cimade, Médecins Du Monde et La Fondation Abbé Pierre ont lancé une réflexion inter-associative sur la « résorption des bidonvilles » et les alternatives aux » villages d’insertion ».
Dans le cadre de ce projet de réflexion, AREA et La Cimade ont choisi de travailler sur la question de la participation des habitant·es en travaillant avec le Master II Intermédiation et Développement Social – Projet, Innovation, Démocratie, Territoire de l’université Paul Valéry. Deux étudiant·es sont accueillis à La Cimade et AREA durant l’année universitaire 2019-2020 pour travailler sur le recueil de la parole des habitant·es des bidonvilles quant à l’ » habiter ».
Dans cette recherche de Master 2 en Sciences sociales (Intervention et développement social), Maxime Estivals propose un aller-retour constant, une réflexion sur l’impact des politiques publiques de résorption des bidonvilles sur les habitants de ces espaces. L’auteur met en vis-vis les politiques publiques – héritières d’une histoire de lutte contre les espaces de précarité aux portes des villes – et la réalité du bidonville. Aux trois registres justifiant l’action publique : le registre légal (occupation illicite), le registre moral (conditions de vie inacceptables) et le registre de l’insécurité et des nuisances (santé publique), Maxime Estivals oppose un questionnement sur la notion d’habiter. Qu’est-ce qu’habiter veut dire lorsque l’on vit sur un bidonville ? Envisagé sous un angle fonctionnel par les pouvoirs publiques, l’habiter est bien davantage un fait social total qui informe sur la position sociale de l’individu dans l’espace urbain et le rapport aux autres. Habiter est ainsi une dynamique, un processus.
Cette opposition entre lecture institutionnelle et fonction sociale du bidonville, s’incarne notamment dans la notion de politique de résorption, terme emprunté au lexique médical et signifiant Disparition par absorption ou atrophie progressive d’un épanchement pathologique, d’une tumeur, d’un corps étranger, d’un organe. (Larousse). Pourtant, le bidonville remplit un certains nombre de fonctions essentielles à l’intégration des personnes au cours de leur parcours migratoire. L’auteur se réfère ainsi à la thèse de Daubeuf, – Le bidonville de la Place – et relève ainsi que outre les nombreux facteurs d’exclusions qui s’imposent au bidonville et à ses habitants, la présence de cet habitat non ordinaire révèle un certain nombre d’épreuves qui témoignent des liens et qui permettent la rencontre des habitants du bidonville et de la société française. « Ces épreuves sont autant de points de tension participants à interroger la place des individus au sein d’un monde commun tout en socialisant les habitants des bidonvilles aux contraintes structurant la société française » (Daubeuf 2018). Ces épreuves sont au nombre de cinq. La première est « l’épreuve de la migration » (…) La deuxième est « l’épreuve de la ville ». (…) La troisième épreuve est celle de « l’habiter ». Pour l’auteur, le bidonville amène un cadre normatif fort pour ses habitants, dans lequel le collectif est « pourvoyeur de sens à donner à l’espace habité ». Cependant, les habitants gardent tout de même une certaine marge de manœuvre quant à une appropriation de leur espace de vie, appropriation notamment visible dans les espaces individuels, « des espaces investis personnellement et émotionnellement ». La quatrième épreuve est celle de la race dans laquelle les habitants du bidonville se retrouvent régulièrement assignés à l’identité rom ou tsigane. Et la cinquième étant l’épreuve du genre. Cette fonction socialisante du bidonville est mise à mal par la mise en place de politiques uniquement fonctionnelles de l’habitat qui peuvent avoir pour conséquence une « mise à distance institutionnelle de l’Autre ».
Pour mieux appréhender cette dichotomie entre la complexité sociale du bidonville et les politiques publiques mises en œuvre, Maxime Estivals s’en réfère à Foucault et mobilise le concept d’hétérotopies, « emplacements qui ont la curieuse propriété d’être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu’ils suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis », « des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables »
Ce travail de recherche qui déconstruit la mise en œuvre de politiques publiques et s’intéresse à la réalité sociologique du bidonville, permet d’envisager quelques pistes de réflexion dont l’un des axes principaux est de nécessairement envisager le bidonville d’après le regard que ses habitants portent sur lui pour élaborer des solutions respectueuses de ses fonctions.