Lire sur le site du d’OC l’article de Pauline Josse
L’annonce avait été faite en grande pompe en novembre 2017. Le préfet de l’Hérault, Pierre Pouëssel, ainsi que le maire et président de la métropole de Montpellier Philippe Saurel avaient déclaré transférer les habitants du bidonville de Celleneuve vers un « village de transition » dès le printemps 2018. Plus d’un an plus tard, ce « village », censé être équipé de plusieurs bungalows avec un accès à l’eau et l’électricité, est toujours un terrain vague. Pour les habitants du bidonville de Celleneuve, le sentiment d’abandon domine. En tout, plus de 800 personnes vivent dans ces constructions de bric et de broc en périphérie de la métropole. Cet forme d’habitat indigne a coûté la vie à un de ses occupants le 28 juin dernier, lors de l’épisode de canicule.
Martine Blanc et son mari se sont installés rue de Bionne, à l’extrémité ouest de la ville, en 1986. À l’époque, la D132 n’avait pas encore déroulé son lot de goudron et d’embouteillages quotidiens sous leurs fenêtres. Pour venir jusqu’à chez eux, aucun transport en commun : l’arrêt de bus le plus proche est à 1,8 km. Du pas de leur porte, on devine les tôles du bidonville baptisé « Chez Paulette », de l’autre côté de la future voie rapide. Une petite trentaine d’habitants, majoritairement originaires d’ex-Yougoslavie et d’Italie survivent d’activités de ferraillage. C’est le cas de Juliana, de ses quatre enfants et de son mari. Ses yeux translucides s’assombrissent lorsqu’elle évoque la fois où la Mosson, la rivière voisine, est sortie de son lit pour tout engloutir sur leur terrain. Après avoir été mis à l’abri dans un gymnase, Juliana et sa famille se sont vite réinstallés le long de l’avenue Jouhaux dans des abris de fortune. En attendant la prochaine crue ou l’avancée de leur situation administrative.
La terrasse de Martine, accolée à des plans de vignes, est presque à mi-chemin entre « Chez Paulette » et l’emplacement qui doit accueillir le village de transition pour les 143 habitants du bidonville de Celleneuve. « On cumule sur un territoire restreint des populations fragiles, y compris des populations qui ne s’entendent pas » déplore la retraitée. Le long de la rue de Bionne, des gens du voyage ont acheté plusieurs terrains pour installer leurs caravanes. Martine peine à masquer son ressentiment : « Je suis totalement désabusée, c’est comme si notre quartier n’existait pas aux yeux des autorités. On n’a même pas l’eau de la ville, comment vont-ils gérer l’assainissement de ce village de transition ? » Et si Martine désespère, comme Bertrand Schmitt, le président de l’association des Amis du quartier de Bionne et de la Mosson, c’est surtout « à force de voir sous nos yeux autant de misère, des enfants qui vivent dans de telles conditions en France. On est scandalisé que l’État ne fasse rien ». Le projet de village de transition est loin de les rassurer : « Sur cet emplacement, ils vont vivre en totale autarcie, on est loin de tout. À ma connaissance, ce n’est pas l’idéal pour favoriser l’intégration ! » constate avec amertume Bertrand.
« J’ai l’impression qu’on ne partira jamais d’ici »
Depuis l’annonce du projet à l’automne 2017, le terrain de la rue de Bionne est toujours en friche. Son ouverture n’a cessé d’être reportée. Le projet devait sortir de terre en juillet. Finalement, la préfecture parle aujourd’hui de « quelques mois ». La faute à des recours administratifs portés par des riverains qui bloquent les débuts de la construction. En attendant, Martine et Bertrand n’ont aucune information. Pas plus que les concernés, les habitants du bidonville de Celleneuve, tous originaires de Roumanie : « Moi j’ai l’impression qu’on ne partira jamais d’ici » raconte Tina, dans un français hésitant. « Depuis plusieurs mois, on se sent complètement abandonnés, personne ne nous donne de réponses. Quelques familles ont réussi à avoir un logement mais nous, les plus pauvres, on reste là ». En ce milieu d’après midi, un incendie se déclare à l’intérieur d’une des baraques aux bords de l’usine Sanofi. En attendant que les pompiers arrivent, Alain observe la scène à quelques mètres de l’épaisse fumée noire : « J’en peux plus de tout ça. Comment voulez-vous que ce genre d’incidents ne se reproduisent pas vu le nombre de personnes entassées ici ». Il vit sur le campement depuis un an et demi. Ce jour là, deux habitations ont été entièrement détruites.
Depuis le 1er janvier dernier, c’est l’association 2 Choses Lune qui assure le suivi du bidonville de Celleneuve, l’un des plus gros de Montpellier. Son objectif est de préparer les habitants à l’ouverture de l’aire de transition. Malgré des tentatives répétées du d’Oc, aucun membre de cette association n’a donné suite à nos sollicitations. 2 Choses Lune fait partie des trois opérateurs financés par la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS) pour oeuvrer à la résorption des bidonvilles du département. À ses côtés, la Cimade et l’Association Recherche Éducation Action (AREA) se répartissent le travail social dans les 11 bidonvilles de la métropole, occupés par 842 personnes.
En 2018, 1 058 852 € pour mener les politiques de résorption dans l’Hérault
Le 25 janvier 2018, le gouvernement diffusait une circulaire à l’adresse des préfets de région et de département. Le but : « donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles ». Un texte qui encourage les collectivités à cesser les expulsions si elles ne s’accompagnent pas de mesures sociales. La circulaire évoque « des formules d’accompagnement dans le logement vers le diffus » ou des « formules d’habitat temporaire » pour réussir à résorber tous les bidonvilles du pays d’ici à cinq ans. Un vœu pieu quand on découvre la temporalité de mise en œuvre de ces actions à l’échelle d’un seul bidonville.
C’est la DDCS, grâce à une enveloppe versée par la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement (DIHAL), qui détermine les actions à mener dans le département. Pour l’Hérault, ce montant s’élevait à 1 058 852 € en 2018. Six salariés à temps plein sont notamment financés par cette enveloppe. Cela correspond à un travailleur social pour 100 personnes.
« Si on expulse les gens, ils ne disparaissent pas. Ça semble du bon sens, mais c’est une bonne chose que nous soyons dans une des rares préfectures qui entend ça » remarque Catherine Vassaux, la directrice de l’AREA. Sans expulsion, les associations peuvent ainsi assurer un accompagnement au long cours des habitants. Elle salue le fait que, depuis 2017, tous les acteurs du sujet se mettent autour de la table pour trouver des solutions : la mairie, la préfecture mais aussi les associations. Pour elle, le choix du terrain de transition est « une solution pragmatique des autorités » dans une zone où la demande en habitat est extrêmement tendue.
L’insertion, plusieurs acceptions
Christophe Perrin, responsable régional de la Cimade, salue lui aussi une démarche assez volontaire de la préfecture et de la municipalité – à qui appartient le terrain de Celleneuve. Pour autant, en s’appuyant sur le seul exemple de village de transition qui a existé dans le département, il reste sceptique : « À Sète, le terrain a été résorbé à la fin de l’année 2018. C’est un dispositif qui a coûté très cher et à l’efficacité contestable ». Géré par l’association 2 Choses Lune, le projet a mobilisé 39 % (409 357€) du budget global du département en 2018. Il concernait 14 familles, et a fonctionné pendant 10 mois (au lieu des 6 prévus à l’origine). Au final, 11 ménages ont accédé au logement dans le parc social, 3 ont été exclus : « Il s’agit des plus fragiles, ceux qui étaient en conflit avec le fonctionnement autoritaire et infantilisant du gestionnaire du lieu » regrette Christophe Perrin. De quoi susciter des inquiétudes puisque le terrain de Bionne devrait être géré par la même association.
Le responsable de la Cimade s’inquiète aussi de ce que l’État entend par résorption : « Il y a des gens pour qui parler d’insertion, y compris par le logement, n’a pas de sens. » Il mentionne le cas de personnes âgées qui ne maîtrisent pas la langue, à la santé fragile, inaptes au travail. « Ces profils ne rentrent pas dans les cases et ne sont pas pris en compte. Ils représentent pourtant une centaine de personnes sur l’ensemble des bidonvilles de la métropole ».
Une vision partagée par Marion Lièvre, chercheuse dans le cadre du projet MARG-IN sur la question rom en Europe. « Les actions publiques vont d’abord dans le sens de ce qui dérange la société plutôt que dans celui du fonctionnement des personnes migrantes ». Pour elle, l’insertion passe surtout par le travail : essentiellement les activités de ferraillage, de biffin et des CDD divers. « Les associations comme 2 Choses Lune travaillent en vitesse pour faire du résultat chiffré ». Une démarche incompatible, selon elle, avec une insertion efficace, synonyme d’un accompagnement pendant plusieurs années.
Le risque de sorties du dispositif
La fondation Abbé Pierre, association historique de lutte contre le mal-logement, n’est pas inactive sur la question des bidonvilles : elle dédie chaque année 40 000 € de son budget à l’association AREA. Sylvie Chamvoux, la directrice régionale de la fondation, participe au comité de pilotage de la préfecture pour la résorption de Celleneuve depuis 2018. « À priori, nous ne sommes pas favorables au développement de villages de transition, surtout comme celui de la rue de Bionne : à l’écart de la ville, des services et des transports ». Elle craint que, comme cela a pu être le cas à Sète, des ménages soient en conflit avec le gestionnaire du lieu et avec son règlement : « Le risque c’est que les familles quittent le dispositif pour ouvrir un nouveau bidonville ». Et même si elle peut comprendre que personne ne veuille de ce terrain près de chez soi, elle encourage les politiques à l’imposer. Mais avec les municipales qui approchent, « soit les choses se mettront en place très rapidement dans les prochaines semaines, soit le projet ne verra jamais le jour ».
Pauline Josse
Photo : Xavier Malafosse
« Ce n’est pas la canicule qui tue, c’est la misère »
Vendredi 28 juin, une personne âgée a perdu la vie dans un bidonville de Montpellier, nommé Zenith 2. Dans un communiqué, La fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, La cimade et l’AREA expliquent que « ce drame met une nouvelle fois en lumière les conditions de vie dramatique que connaissent des milliers de personnes. » Et de rappeler : « au-delà des conditions climatiques, ce qui est mortel, c’est de vivre dehors, à la rue, dans un bidonville, en squat ou dans un habitat indigne. » Pour ces associations, « les mesures prises ces derniers jours ne peuvent suffire à résoudre une situation indigne et inhumaine qui dure depuis tant d’années. »