Télécharger l’article d’Amélie GOURSAUD: La Marseillaise-20.03.18_Etude sociologique
L’association Area est à l’initiative d’une enquête sociologique réalisée en partenariat avec l’université Paul-Valéry et avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre.
Il en ressort notamment que les Montpelliérains, dans leur grande majorité, ne stigmatisent pas les Roms et ne collent pas à cette « opinion publique » sur laquelle discours et actions politiques cherchent à asseoir leur légitimité.
MONTPELLIER
« « Ces populations [celles que l’on définit comme « Roms », Ndlr] n’ont pas vocation à s’intégrer », déclarait Gérard Collomb en 2013. Depuis trois ans, les associations qui les accompagnent ont pourtant fait la démonstration du contraire. Dans l’Hérault, 18% des adultes qui vivent en bidonville ont aujourd’hui un emploi. Pourtant, cette idée de population non intégrable, dont le seul dessein serait d’aller d’expulsion en expulsion, se répand. Si bien qu’on considère comme acquis que nos concitoyens seraient hostiles aux migrants, aux précaires et évidemment aux habitants des bidonvilles. Pourtant, aux abords de ces lieux de vie, des gens nous demandent comment ils peuvent aider. On est bien loin du riverain mécontent ou du citoyen excédé dont on entend beaucoup parler. C’est ce qui nous a donné envie de mener une étude sur cette soi-disant opinion publique », explique Catherine Vassaux, directrice d’Area.
Pour 90% des sondés, l’expulsion n’est pas la solution.
En partenariat avec le laboratoire d’études et de recherche en sociologie et ethnologie de l’Université Paul-Valéry, et avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, cette association qui lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion est donc à l’origine d’une étude inédite sur la perception des habitants des bidonvilles par les Montpelliérains. L’enquête, confiée à trois étudiants de la faculté Paul-Valéry, a été réalisée entre janvier et mai 2017 sur un échantillon représentatif de 800 personnes (avec une marge d’erreur de 0,03%). « Les deux apports principaux sont : 1) que les Montpelliérains, en rejetant à 90% l’expulsion comme solution, ne relaient pas le discours politique largement entendu depuis 1997 ; 2) que la construction politique du Rom qui a cours depuis des décennies n’a aucun pendant dans la réalité, ni auprès des habitants des bidonvilles, ni auprès des citoyens », analyse José Lagorce, travailleur social à Area. Ainsi, 72% des Montpelliérains pensent qu’il est possible d’intégrer les habitants des bidonvilles dans l’agglomération et 90% considèrent qu’ils sont peu bénéficiaires des politiques sociales, alors qu’ils sont, avec les SDF, considérés comme la population la plus vulnérable.
Une politique fondée sur la seule opinion de 10% de gens.
Deux groupes principaux se dégagent parmi les personnes interrogées : « pour les plus de 50 ans, professions intermédiaires et commerçants, le Rom est une personne qu’on croise en ville ou sur les marchés, qui vit grâce à la criminalité et la mendicité ; il habite sur un camp, est différent culturellement et ne s’intègre pas parce qu’il ne le souhaite pas. Pour ces gens, qui ne représentent que 10% des Montpelliérains, la solution, c’est l’expulsion. Pour 90% des sondés en revanche, qui ont entre 18 et 50 ans et sont issus de catégories professionnelles supérieures ou ouvriers, les habitants des bidonvilles sont des personnes vivant d’un travail informel, qui profitent peu des aides sociales, auxquelles on reconnaît une différence culturelle tout en estimant qu’elle n’est pas un frein à leur intégration», résume le travailleur social de l’Area.
« La grande différence entre ces deux points de vue réside uniquement dans la façon dont les personnes identifient le Rom. Les 10% qui pensent que l’expulsion est une solution vont l’identifier uniquement dans sa posture de mendiant. Et ce sont ces 10% de l’opinion publique qui fondent et justifient une politique », dénonce José Lagorce.
L’étude s’est d’ailleurs penchée sur l’évolution du discours politique en passant au crible d’un logiciel spécialisé les champs lexicaux utilisés dans les questions et réponses à l’Assemblée nationale entre 1997 et 2017. « On s’aperçoit que jusqu’en 2007, tout le discours vise à construire une ethnie rom, en la rattachant aux gens du voyage, à l’étranger, au nomade. Puis, à partir de 2007, le discours bascule. On n’est plus dans l’ethnicisation, dont on considère qu’elle est a été intégrée. On passe à la fabrique d’une « classe dangereuse ». C’est tout le but des discours portés notamment par Manuel Valls », estime-t-il. « Les Roms, stigmatisés, finissent par intérioriser ce stigmate »
Parlant d’ethnicisation, l’étude révèle que si 55% des personnes interrogées disent connaître l’existence de bidonvilles, 73% parlent de « camps de Roms ». « La distinction est
intéressante car le « camp de Roms » est un lieu où des individus ont décidé de se regrouper par affinités et par choix dans des habitats de bric et de broc. Le bidonville en revanche est un habitat précaire où il n’y a pas d’intentionalité de vivre ensemble et pas non plus de définition de soi par une appartenance ethnique », souligne José Lagorce. « Quand on parle de camp rom ou de Roms, que ce soit avec un souci de discrimination positive ou négative, on fabrique de l’identité. C’est pour ça qu’on ne veut plus utiliser ce terme, mais plutôt celui d’habitant des bidonvilles ou de précaire. Les problématiques qu’on rencontre sur les bidonvilles sont transversales à toutes les formes de précarité. Sauf que les Roms sont stigmatisés et finissent par intérioriser ce stigmate », assure le travailleur social.
Pour Sylvie Chamvoux, directrice de l’agence Occitanie de la Fondation Abbé Pierre, « les bidonvilles ne sont pas liés à une problématique ethnique ou culturelle, ils sont un des
symptômes d’une crise du logement qui concerne plus de quatre millions de personnes. Notre but aujourd’hui est de résorber ces bidonvilles dans lesquelles vivent un peu plus de 750 personnes sur Montpellier en offrant un mode de vie décent à ces familles. »
REPÈRES
Intégration
Si 72% des sondés affirment qu’il est possible « d’intégrer les Roms », seuls 40% pensent que ces derniers le souhaitent, du fait notamment d’une différence culturelle trop importante (53%) ou des discriminations (25%).
Quelle réponse politique de l’État ?
90% estiment que les réponses des pouvoirs publics devraient être l’assimilation ou l’intégration. Seuls 10% prônent l’exclusion.
Modalités de l’étude
L’ enquête, réalisée en 2017 par trois étudiants de Paul-Valéry auprès d’un échantillon de 800 personnes, fait appel à deux méthodes d’analyse : les statistiques descriptives et les
analyses factorielles.